Canal corridor écologique | Newsletter 10 | juin 2023
   
 
Les friches le long du canal: des milieux sous pression

Jusque au début des années 2000, de vastes friches subsistaient encore le long du canal. Sur ces terrains abandonnés, la nature avait progressivement repris ses droits. Durant ces 20 dernières années, l’urbanisation des rives du canal a malheureusement entrainé la disparition de nombre de ces zones vertes atypiques, qui abritent une faune et une flore diversifiée, avec des espèces parfois très rares pour notre région. Dans le cadre d’un partenariat, une petite friche bordant le canal a pu être préservée, et revalorisée à l’occasion de deux gestions effectuées cet hiver.

Friche à Anderlecht
Le mot 'friche' est le plus souvent utilisé pour qualifier un terrain laissé à l’abandon, sur lequel l’homme a cessé temporairement ou définitivement toute activité, et qui est recolonisé progressivement par une végétation spontanée. En fonction de l’activité qui préexistait, on parlera de friche agricole (ancien champ, verger ou prairie), de friche industrielle (zone d’industrie désaffectée), de friche portuaire, de friche ferroviaire ou encore de friche urbaine (propriété laissée à l’abandon). Aux yeux des promoteurs, des urbanistes et des décideurs politiques, ces lieux représentent le plus souvent, en milieu urbain, des espaces vides et sans valeur qui devront tôt ou tard être construits. Sur le plan de la biodiversité, ces friches ont pourtant une valeur très importante, en permettant à une faune et à une flore diversifiée de s’y redéployer.

L’importance des friches le long de la voie d’eau

Petit Gravelot © Y. Coatanéa
Jusque au début des années 2000, de vastes friches s’égrenaient encore le long du canal en Région bruxelloise, singulièrement dans le nord. La friche dite de Marly (à Neder-Over-Heembeek), en référence aux anciennes cokeries qui occupaient le site et dont les derniers bâtiments furent rasés en 2005, s’étendait sur à peu près 15 ha. Une végétation herbacée s’y était développée, et le site attira vite de très nombreuses espèces d’oiseaux, dont certaines relativement rares comme le Petit gravelot, la Bécassine des marais, l’Huitrier pie ou encore la Cigogne blanche (parfois plus de 25 individus!). D’autres oiseaux y faisaient également étape lors de leur migration, comme la Barge à queue noire, le Courlis corlieu ou le Bécasseau maubèche. Le site fut malheureusement construit en 2015, ne laissant que très peu de place à la nature.

Vanneau huppé © Y. Coatanéa
Sur l’autre rive, à Haren, à hauteur du pont Buda, une autre friche récemment disparue (construction d’un centre de recyclage de métal) avait également attiré chez elle une avifaune particulière avec le Vanneau huppé, la Fauvette babillarde et même l’Hypolais polyglotte qui y nicha en 2022 ! Dans le centre ville, une centaine d’espèces d’oiseaux purent être observées sur la friche du site de Tours et Taxis, dont le Gorgebleue à miroir. Plus au sud, à Anderlecht, la belle friche située en rive droite du bassin de Biestebroeck est maintenant en sursis, avec un vaste projet immobilier en préparation comprenant logements, bureaux et services divers.

Rive du canal au pont Buda © Y. Coatanéa
Les oiseaux cités ci-dessus, dont le nom ne dira probablement que peu de choses au profane, témoignent, s’il fallait encore s’en convaincre, de la richesse souvent exceptionnelle de la faune et de la flore qui colonisent les friches. Ces zones vertes sont aussi très précieuses le long du canal (qui relie l‘Escaut à la Sambre sur une axe nord-sud), car elles permettent à celui-ci de jouer pleinement son rôle de corridor écologique. De nombreuses espèces (oiseaux, insectes, …) suivent en effet la voie d’eau pour leurs déplacements courts ou longs. Mais sans zones vertes sur ses rives, le rôle écologique du canal en Région bruxelloise et la place importante qu’il occupe dans le maillage vert et bleu se retrouvent amoindris.

Des friches subsistent malgré tout en bordure et à proximité du canal, comme par exemple le vaste site de Schaerbeek-Formation, quelques éléments de friche sur le site de Tours et Taxis ou encore des friches de tailles petites ou moyennes, surtout dans les parties nord et sud du canal. On en trouve aussi sur des sites industriels en activité, où la végétation qui s’y est développée ne gêne absolument pas l’activité économique.

Sensibiliser et collaborer

 
Pour sauvegarder ces espaces verts atypiques et leur potentiel pour la biodiversité, la collaboration entre les divers acteurs et propriétaires de ces sites et les experts naturalistes est importante. Ces derniers peuvent les sensibiliser et les conseiller afin que ces trésors de nature soient préservés et appréciés à leur juste valeur. La rencontre de terrain, la discussion, le conseil et la collaboration ont d’ailleurs permis récemment à une friche se trouvant sur un terrain de la Ville de Bruxelles, bordant le canal à Neder-Over-Heembeek, d’être préservée et revalorisée. Si une partie du terrain est utilisée par la Ville pour y stocker des matériaux divers, la partie inutilisée a depuis longtemps été colonisée par la végétation, avec notamment le développement d’une belle roselière. De nouveau, des espèces d’oiseau particulières y ont trouvé refuge comme la Rousserolle verderolle, la Bécassine sourde ou encore la Fauvette babillarde, mais aussi des espèces en migration pour qui cette friche constitue une halte bienvenue.

Roselière © Y. Coatanéa
Afin de la préserver du passage des camions et du stockage de matériaux, la Ville de Bruxelles a, cet automne, délimité la friche avec des plots en béton. Durant cet hiver, deux gestions ont également été effectuées afin d’améliorer le potentiel du site pour la biodiversité. Une partie de la roselière a été fauchée, et des déchets qui jonchaient le sol ont été ramassés. Sous la supervision de deux naturalistes et avec la collaboration de la Ville de Bruxelles, une pelleteuse est aussi venue creuser une dépression afin de recréer une belle zone humide. La site a en effet souffert, par le passé, de plusieurs remblaiements qui ont dégradé la zone humide qui occupe une partie la friche, et qui lui confère sans aucun doute une haute valeur biologique.

La restauration de cette petite zone ‘marécageuse’ sur le territoire de la Ville Bruxelles nous rappellera par ailleurs que Bruxelles tire son nom du mot ‘Bruocsella’, qui en français signifie ‘habitation dans le marais’, en référence à son implantation primitive, au 10ème siècle, sur un terrain marécageux (au niveau de la place Saint-Géry). N’oublions pas non plus que l’Iris des marais fut choisi comme symbole de la Région bruxelloise parce que cette plante à la jolie fleur jaune était jadis abondante dans ses vallées, où s’égrenaient de nombreuses zones humides que l’urbanisation a malheureusement largement entamées. Espérons enfin que cet exemple de collaboration et d’écoute réciproque pourra être inspirant afin de préserver et revaloriser d’autres zones vertes, indispensables au déploiement d’une faune riche et variée, mais aussi à un cadre de vie de qualité pour les citadins.

En savoir plus:

- ‘La ville s’en f(r)iche?’ (vidéo)
- La friche de Schaerbeek-Formation (vidéo)
- Le canal, un corridor écologique au cœur de Bruxelles (site internet)

Escaut sans Frontières, juin 2023
Nos remerciements à Alain Boeckx


 

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