Canal corridor écologique | Newsletter 09 | octobre 2022
   
 
Bruxelles Nature: pour une ville nature admise

Interview de Mario Ninanne, président de l’asbl Bruxelles Nature

Pouvez-vous nous présentez l’association Bruxelles Nature. Quels sont ses objectifs?

Bruxelles Nature est une association qui est née au début des années 80 sous le nom du 'Front Commun des Groupements de Défense de la Nature en Région Bruxelloise', à un moment ou de plus en plus de projets immobiliers (lotissements, bureaux, etc.) menaçaient des espaces verts. L’idée était de se fédérer pour avoir plus de poids, au niveau communal et régional, les associations étant alors le plus souvent isolées dans leurs combats. Quand une association locale manque de ressources nécessaires pour défendre un espace vert menacé, Bruxelles Nature (et ses membres) peut apporter le soutien nécessaire, notamment au niveau juridique. Nous avons en effet la capacité juridique d’introduire des recours et de développer des plaintes judiciaires et administratives.

Bruxelles Nature fédère aujourd’hui plus d’une vingtaine d’associations bruxelloises, essentiellement des associations naturalistes (Natagora, la CEBE, COWB, CEBO, etc.), mais aussi d’autres groupements comme des comités de quartier. Notre objectif est d’agir ensemble pour la préservation des espaces naturels et semi-naturels en Région bruxelloise. Nous défendons le projet d’une ville où la nature et la biodiversité sont des composantes essentielles.

Quelles actions Bruxelles Nature a-t-elle mené ces dernières années?

Kauwberg à Uccle © A. Mellas
Notre premier recours au Conseil d’Etat fut introduit dans les années 80 pour la sauvegarde Val d’Or à Woluwe-Saint-Lambert. Nous nous sommes également mobilisé pour la protection du Kauwberg, à Uccle, lui aussi menacé au départ par un projet de golf et ensuite par d’autres projets immobiliers. Ce site de 53 ha est aujourd’hui protégé, et a été intégré dans le réseau européen Natura 2000. Nous avons également gagné un beau combat pour la préservation du plateau de la Foresterie à Boitsfort. Mais il y a eu des déceptions, comme la construction, sur une friche, d’un terrain de rugby synthétique sur ce même plateau de la Foresterie. Nous avons par ailleurs contribué à l’élaboration de l’Ordonnance relative à la Conservation de la Nature de 2012, avec entre autres l’interdiction d’abattre et d’élaguer des arbres en période de nidification.

Parallèlement à ces mobilisations, nous proposons des activités de sensibilisation et d’information pour le grand public. Durant les trois années qui ont précédé la pandémie du Covid, nous avons par exemple organisé, au mois de mai, la 'Semaine bruxelloise de la Nature'. Outre des visites guidées naturalistes dans plusieurs espaces verts remarquables, nous y proposions la projection, dans des salles de cinéma et à Flagey, de films et documentaires sélectionnés au Festival International de la Nature de Namur. Cette semaine est maintenant devenu le 'Mois de la Nature', coordonné par Bruxelles Environnement.

Quelle est l’évolution des espaces verts, en termes de superficie et d’apport pour la biodiversité? Peut-on encore prétendre que Bruxelles est une des capitales les plus vertes d’Europe?

Forêt de Soignes
Il est vrai que Bruxelles est une capitale très verte... mais elle le doit en bonne partie à la Forêt de Soignes qui se trouve en périphérie des zones urbanisées. Dans la ville proprement dite, au cours de ces vingt dernières années, nous avons perdu en superficie à peu près 17% des espaces verts, ce qui est beaucoup! Ces zones ont été minéralisées avec la construction d’immeubles à appartement, de parkings ou encore de bureaux. Et aujourd’hui, des projets immobiliers continuent de s’accumuler et menacent partout des sites de grande valeur biologique et paysagère: en lisière de la Forêt de Soignes, tout le long de la vallée de la Woluwe, à Schaerbeek avec la friche Josaphat, à Uccle, à Haren, etc. Nous devons vraiment rester vigilants. Ces projets nous désolent d’autant plus que les immeubles inoccupés ne manquent pas en Région bruxelloise: un millions de mètres carrés de bureaux et des milliers de logements!




Quel est l’état de la biodiversité en Région bruxelloise?

© E. Etienne
Commençons par dire que Bruxelles est riche en biodiversité pour une capitale. On y trouve une faune étonnante avec plusieurs couples de Faucons pèlerins, 20 espèces de Chauves-souris ou encore le Lucane cerf-volant, un coléoptère rare (et menacé) pouvant mesurer jusque 9 cm de long! Mais de manière générale, comme partout ailleurs en Europe, la biodiversité est en déclin à Bruxelles, avec notamment le cas emblématique du Moineau domestique dont les effectifs ont chuté de plus de 70%! La disparition des espaces verts et des couloirs écologiques qui permettent à ces espèces de se déplacer d’une zone naturelle à une autre, la destruction de vieux bâtiments remplacés par des immeubles qui n’offrent que peu de cavités pour la nidification des oiseaux cavernicoles, sans oublier les maladies, expliquent évidemment cette chute.

Pour les oiseaux cavernicoles, l’installation de nichoirs permet d’endiguer ce déclin, voire même de reconstituer des populations, comme c’est le cas à Bruxelles avec l’Hirondelle de fenêtre et plus récemment le Moineau domestique. La sensibilisation du public est aussi très importante, car elle peut déboucher sur une mobilisation. Si nous étions un peu considérés comme des originaux dans les années 80, aujourd’hui de plus en plus de citoyens se mobilisent pour la défense de la nature, ce qui nous rassure.

Les outils juridiques permettent-ils une protection suffisante des espaces verts bruxellois et de la biodiversité qui leur est liée?

Oui, grâce à l’Ordonnance de 2012 relative à la Conservation de la Nature, les outils juridiques existent (règlements d’urbanisme et d’environnement) et fonctionnent. Bruxelles Nature, qui a une très bonne connaissance de ces textes, agit un peu comme un gendarme pour que cette réglementation soit respectée. Nous pouvons intervenir pour faire arrêter un chantier, introduire des recours, des plaintes, etc.

Portez-vous un intérêt pour la zone du canal? L’association y a-t-elle déjà mené des actions?

Oui, car nous sommes persuadés que le canal attire de la biodiversité, et qu’il y a un gros potentiel à développer en verdurisant ses abords et en plaçant des nichoirs. Bruxelles Nature est d’ailleurs partenaire, comme Natagora, du projet 'Le canal, un corridor écologique au cœur de Bruxelles'. Cette dynamique de partenariat, importante de nouveau, a permis il y a peu la concrétisation d’un gros projet de placement de nichoirs visant à reconstituer et étendre les populations d’Hirondelles de fenêtre et d’Hirondelles de rivage.

© Y. Coatanéa
En 2013, Bruxelles Nature a aussi lancé le 'Plan Cigogne', le long du canal à Haren et Neder-Over-Heembeek. Depuis de nombreuses années, nous y observions en effet des Cigognes blanches (dont une bonne partie niche au zoo de Planckendael), attirées par la présence d’une entreprise de recyclage de déchets. Nous avions aussi remarqué que quelques couples nichaient plus près, à Grimbergen et Vilvorde. D’où l’idée d’attirer des couples de cigognes par le placement de plateformes, pour qu’elles viennent aussi nicher en Région bruxelloise, ce qui serait une première! En 2015, trois plateformes (sponsorisées par le privé) furent installées au sommet de peupliers sur le site de l’entreprise Solvay, et une autre plateforme fut placée sur le site de la station d’épuration Aquiris, à l’extrémité d’un mât à 6 m de hauteur. Cet été, une nouvelle plateforme a été installée sur le site de la Ferme Nos Pilifs, en attendant peut-être la concrétisation d’un projet de plateforme en bordure directe de la voie d’eau, en partenariat avec l’entreprise Sita-Suez et le Port de Bruxelles.

Qu’en est-il de l’évolution des espaces verts qui bordent la voie d’eau, et plus spécifiquement des friches?

© Y. Coatanéa
Durant ces quinze dernières années, de très nombreuses friches qui bordaient le canal ont malheureusement disparu pour laisser la place à des bureaux, des usines ou encore des appartements de standing. Dans l’esprit de beaucoup de gens, une friche est un terrain vague qu’il faut rentabiliser en y construisant quelque chose. Au mot 'friche', je préfère le terme 'prairie fleurie'. Ces milieux ouverts, où la nature spontanée a pu reprendre ses droits, sont des sites exceptionnels sur le plan de la biodiversité, avec des espèces que l’on ne voit généralement pas ailleurs en milieu urbain, comme le Hibou des marais, le Vanneau huppé, l’Hypolaïs polyglotte ou encore des insectes méditerranéens qui apprécient les endroits ouverts et ensoleillés.

Si la plupart de ces friches sont des espaces constructibles au PRAS, il arrive toutefois que certaines d’entre elles ne le soient pas. Mais dans ce dernier cas, les autorités peuvent alors brandir le Plan d’Aménagement Directeur (PAD) pour passer en force, un outil qui outrepasse toutes les autres règles urbanistiques et environnementales. Ce PAD, nous l’appelons le Plan Anti-Démocratique!

Quelles sont les espèces d’oiseaux particulières que l’on trouve sur le canal, et quel est l’état de leurs populations?

Chevalier Guignette © Y. Coatanéa
C’est étonnant ce que l’on peut observer sur le canal et ses abords. Un petit espace isolé et abandonné, sur un parking ou sur un quai de déchargement de marchandises, avec une flaque et un peu de gravier comme substrat, peut parfois suffire pour qu’un oiseau rare et protégé comme le Petit gravelot vienne y nicher. La Bergeronnette des ruisseaux est présente tout le long du canal, même dans les zones les plus urbanisées. On peut aussi croiser d’autres oiseaux remarquables comme le Martin pêcheur, le Chevalier guignette, l’Hirondelle de rivage, le Faucon crécerelle, la Cigogne blanche bien sûr, plus de six espèces différentes de goélands, et même la rare Gorge-bleue! Mais comme ailleurs à Bruxelles, ces populations sont en déclin, et chaque espace vert que l’on supprime le long de la voie d’eau contribue encore davantage à la disparition de la biodiversité qui lui est liée.
Si nous prenons beaucoup de plaisir à observer ces espèces particulières, nous déplorons aussi le déclin généralisé des espèces dites communes, qui le deviennent de moins en moins!

Escaut sans Frontières, octobre 2022

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