Canal corridor écologique | Newsletter 08 | juin 2022
   
 
Le Martinet noir, un voyageur au long cours

Interview de Martine Wauters, fondatrice et coordinatrice du Groupe de Travail Martinets.

© Chr. Moulu
Pouvez-vous nous décrire le Martinet noir. Qu’est ce qui différencie cet oiseau de l’hirondelle?
Son qualificatif est un peu trompeur car son plumage est plutôt brun foncé. En vol, le Martinet noir (Apus apus) présente la forme d’une faucille. Dans le ciel, sa silhouette rappelle aussi celle de l’hirondelle (mieux connue du grand public), mais ses coups d’ailes nerveux, rapides, alternant avec de longs planés tranquilles le différencient du vol papillonnant de l’hirondelle. Il est aussi plus grand, avec une envergure pouvant atteindre 45 cm. Contrairement à l’Hirondelle de fenêtre et à l’Hirondelle rustique, il ne bâtit pas ce nid à base d’argile si caractéristique, mais nidifie dans les anfractuosités qu’offrent les bâtiments, où il construit un nid assez basique. De façon plus surprenante, ce qui le différencie aussi de l’hirondelle, c’est la génétique. Le martinet est en effet génétiquement plus proche du colibri que de l’hirondelle!

Qu’est ce qui rend cet oiseau si particulier?

© Natagora
© E. Etienne
Sa migration est vraiment impressionnante. Les Martinets noirs sont de retour dans nos régions entre la fin du mois d’avril et le début du mois de mai. Ils nous reviennent d’Afrique subsaharienne. Des individus passent même l’hiver en Afrique du Sud, ce qui leur fait une migration de plus de 10.000 km. Au terme de leur vie, certains martinets auront parcouru 5 millions de km, soit 6 fois l’aller-retour de la terre à la lune! Le voyage n’est pas de tout repos non plus. Ces martinets doivent franchir le désert du Sahara, la Méditerranée et enfin les Alpes ou les Pyrénées avant de retrouver leurs quartiers d’été en Europe... où ils ne resteront que 3 mois puisqu’ils nous quittent déjà aux alentours du 21 juillet. Pour les jeunes d’un an, le séjour est encore plus court: à peine 1 mois!
Le Martinet noir passe aussi l’essentiel de sa vie dans l’air : il chasse, boit, s’accouple, se toilette et même dort en vol. Il peut atteindre des pointes de plus de 200 km/h, et son arrivée dans les cavités de nidification est fulgurante avec une vitesse de 60 à 70 km/h un mètre avant l’entrée dans l’orifice! Il est également fidèle à son site de nidification qu’il retrouvera chaque année au terme de sa longue migration.

Comment les populations de Martinets noirs ont elles évolué ces dernières décennies en Europe et en Région bruxelloise?
© N. Lonfils
Comme pour d’autres espèces d’oiseaux, les effectifs de Martinets noirs sont en diminution chez nous et ailleurs en Europe. Ils figurent d’ailleurs sur la liste rouge des espèces menacées de 2021. Le Martinet noir est maintenant intégralement protégé par la loi. Pas question donc de le chasser, de le capturer ou encore de détruire ses nids. Une cause importante de la diminution de ses populations est la destruction d’anciens bâtiments qui offrent pourtant de nombreuses cavités dans lesquelles le martinet peut nicher, et la construction de nouveaux bâtiments où ces cavités sont généralement absentes. La rénovation et l’isolation, pour lesquelles de nombreuses primes existent, provoquent également la disparition de ces espaces si précieux. L’isolation d’une toiture d’une maison peut parfois entrainer la suppression d’une dizaine de sites de nidification! A certains endroits, les insecticides peuvent également être une cause de régression des populations pour cet oiseau insectivore qui ingère jusque 20.000 insectes par jour!

© Escaut sans Frontières
Le canal joue-t-il un rôle favorable pour le Martinet noir?
La présence de l’eau attire évidemment de nombreux insectes (mouchettes, moustiques, syrphes,...), et permet aux martinets de se désaltérer lorsqu’il fait très chaud. Les friches présentes le long de la voie d’eau à Bruxelles sont également intéressantes car elles aussi attirent une belle diversité d’insectes dont le Martinet noir se nourrit. Malheureusement, depuis une dizaine d’années, ces friches disparaissent les unes après les autres en laissant la place à des projets immobiliers qui laissent généralement peu d’espace à la nature. Comme pour d’autres espèces migratrices, le canal, qui s’étend sur plus de 100 km sur un axe nord sud, peut aussi jouer un rôle de corridor ou de repère pour les guider dans leurs déplacements.

Brique-nichoir © M. Wauters
Brasseries Bellevue © M. Wauters
Y-a-t-il des noyaux de population de martinets le long du canal?
Des nichoirs ont-ils été installés sur des bâtiments?

Les vieux bâtiments industriels en briques ou ciment que l’on retrouve en bordure du canal à Cureghem, Molenbeek-Saint-Jean, ou encore Neder-Over-Hembeek avec les anciennes brasseries Meudon, offrent encore de nombreuses anfractuosités permettant au martinet d’y nicher en nombre. En cas de rénovation, il faudra évidemment veiller à préserver ces cavités, ou alors les remplacer par des briques-nichoirs (intégrées dans le mur) et des nichoirs, ce qui ne représente généralement pas grand-chose sur le budget d’un chantier de rénovation ou de construction. Neuf nichoirs triples ont d’ailleurs été placés sous la corniche d’une tour des anciennes brasseries Bellevue en 2014. Plus récemment, plusieurs nichoirs ont été installées chez BPOST au nord de Bruxelles, sur les bâtiments de la société Greenbizz et bientôt chez un particulier habitant près de la porte de Flandre. D’autres projets sont également en cours, toujours pour des bâtiments bordant la voie d’eau, mais ils tardent pour le moment à se concrétiser.

© GT. Martinets
© M. Wauters
Pouvez-vous nous présenter le Groupe de Travail Martinets et ses actions pour protéger et restaurer les populations de Martinets noirs.
Le Groupe de Travail Martinets de Natagora est en quelque sorte une émanation du Groupe de Travail Hirondelles, dont il s’est détaché pour mieux cibler les problématiques spécifiques des martinets. Il est né en 2010. Si j’étais seule au début, des bénévoles sont vite venus me rejoindre pour soutenir différentes actions que nous menons en Belgique francophone, qui s’adressent aux particuliers, associations, entreprises, collectivités locales et régionales ou encore aux professionnels du bâtiment.

Nos missions sont diverses. Nous réalisons des inventaires des sites de nidification ainsi que des études. Nous donnons des conseils techniques pour l’intégration de nichoirs ou de briques-nichoirs. Nous intervenons aussi régulièrement lors de chantiers afin que les sites de nidification soient préservés ou remplacés. Enfin, nous consacrons du temps à informer et sensibiliser divers publics à l’occasion de promenades guidées, d’animations et de conférences. A titre personnel, j’ai lancé la Journée mondiale des Martinets, un événement festif visant à faire le buzz autour de cet oiseau encore trop méconnu du grand public. Cette journée a lieu tous les 7 juin, soit dans quelques jours ! Des associations, des particuliers ou encore des collectivités locales issus de différents pays comme la Belgique, la Tanzanie, le Burundi, les Etats-Unis, le Québec, Cuba, Porto Rico, l’Iran, la Turquie, Israël ou encore la Chine participent d’ailleurs à cette journée, pour mettre à l’honneur ce migrateur au long cours qui relie deux fois par an nos continents.

En savoir plus:
- Blog Martinets: http://martinew.canalblog.com/
- GT Martinets: https://www.natagora.be/martinets
- Journée mondiale des martinets: https://www.worldswiftday.org/



Escaut sans Frontières, juin 2022

 

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