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  INFO n° 79 - décembre 2018  
 

Nous avons un nouvel ennemi: non pas
les inondations, mais la sécheresse
 

Depuis des siècles, nous autres Néerlandais nous inquiétons du danger que représentent les inondations. Or, il semble aujourd’hui que notre ennemi ne soit pas l’excès mais bien la pénurie d’eau.

Traduction d'un article dans: www.gelderlander.nl (11/11/2018)



À la rédaction du Gelderlander (quotidien néerlandais), nous nous sommes posé une question amusante: vu le faible niveau de l’eau, serait-il possible de traverser l’IJssel à pied? Notre journaliste Kay Scholten, qui mesure 1,95 m, a décidé de tenter l’expérience: "Le niveau est de 1,63 m au-dessus du NAP. Cela nous semble donc faisable." Sauf que Kay Scholten n’est jamais arrivé de l’autre côté. Il n’est même pas entré dans l’eau. Le collègue qui devait l’accompagner a bel et bien gonflé le canot pneumatique dans les environs de Baak, mais lorsque la pagaie de 2,5 m de long a entièrement disparu sous l’eau, les deux compères ont décidé de ne même pas tenter la traversée. " Beaucoup trop profond et puis, il faut s’accrocher à une ancre, sinon on est emporté sur des centaines de mètres. Le courant est trop fort. C’était une idée intéressante mais il n’en est rien sorti."

Et pourtant... Bien qu’à l’heure actuelle, il soit totalement impossible de traverser à pied l’une des 'grandes rivières', on peut se poser la question s’il en sera de même à l’avenir. Qui aurait pu imaginer que le niveau d’eau des rivières allait à ce point baisser? Est-il plausible qu’un jour plus aucun bateau ne puisse naviguer sur le Rhin ou l’IJssel?


Restriction du fret

La réponse à cette dernière question est 'oui', affirment des chercheurs de l’université de Wageningen. Si les Pays-Bas ne font rien et n’anticipent pas les conséquences de la sécheresse, cette situation est tout à fait envisageable. Une affirmation qui surprend… L’eau constitue un élément important de l’identité des Pays-Bas, un pays qui a toujours combattu les risques liés aux inondations. Le plan Delta et ses grands travaux ont vu le jour après le raz de marée de 1953. Le programme Ruimte voor de Rivier (de l’espace pour la rivière) est né après les crues exceptionnelles de 1993 et 1995. Des milliards ont déjà été dépensés en vue de sécuriser les voies d’eau et ce projet est toujours en cours. Tout est mis en œuvre pour maîtriser le niveau des rivières et évacuer l’eau le plus rapidement possible en direction de la mer.

Penchons-nous maintenant sur la situation actuelle. Les cours d’eau sont tellement bas que les bateaux peinent à transporter leur fret. Ils sont désormais obligés de restreindre leur chargement. À défaut, ils risquent de s’échouer. L’agriculture aussi souffre de la sécheresse. La récolte de pommes de terre a chuté. Les ruisseaux et fossés asséchés sont funestes pour les animaux et certainement pour les poissons.


Des maisons lézardées

Et voilà que les maisons commencent à se lézarder. Cet été, Chris Derksen, un habitant de Zevenaar, est parti en vacances en Italie. Il était justement en train de photographier la tour de Pise lorsque son beau-père l’appelle pour lui annoncer que des fissures étaient apparues dans leur maison à Zevenaar, que sa femme et lui venaient d’acheter. Celles-ci s’étendaient de plus en plus à cause d’un enfoncement dans le sol. "Et moi qui me tenais devant le tour de Pise. Quelle ironie! Nous sommes rentrés à toute vitesse à la maison."

Depuis l’été, Chris Derksen n’a pas arrêté une minute de rechercher des solutions. Il va bientôt faire injecter une couche de résine expansive sous les fondations de sa maison pour augmenter la surface portante. Si ça va marcher? À Zevenaar, les expériences avec la résine ne sont pas très concluantes: les fissures continuent de s’étendre. L’assurance de Chris Derksen refuse d’intervenir, car la sécheresse extrême ne ferait pas partie des situations d’urgence. "Heureusement que nous sommes encore relativement jeunes et que nous avons du temps devant nous pour rembourser une hypothèque. Par contre, ma voisine de 85 ans a des fissures de 9 m de long dans son garage. Elle ne pourra jamais financer leur réparation."


Des records climatiques

Que les choses soient claires: la sécheresse est devenue un sérieux problème. Les soucis actuels sont causés par un été exceptionnellement sec. Mais ce qui est encore exceptionnel aujourd’hui ne le restera assurément pas. D’ailleurs, tout avait été annoncé par l’université technique de Delft. Un rapport publié en 2009, après les affaissements imputables à l’été tout aussi sec de 2006, le formule explicitement: "À l’avenir, le sol risque à nouveau de se contracter si des records climatiques sont encore dépassés." Pour Wim Kuijken, l’été qui vient de s’achever n’avait rien de surprenant. "Nous avons déjà connu des périodes sèches, si bien que je n’ai pas été étonné. La dernière remonte à 1976. Mais le KNMI avait annoncé leur multiplication. Elles seront de 3 à 5 fois plus nombreuses qu’aujourd’hui." Wim Kuijken est le commissaire de plan Delta des Pays-Bas. Il assure, au nom du gouvernement, la régie du programme destiné à protéger les Pays-Bas contre un excès et une pénurie d’eau.


En équilibre

Compte tenu des circonstances, Wim Kuijken se dit satisfait de la façon dont les choses se sont déroulées cet été. "Les instances ont pu limiter raisonnablement les effets de la sécheresse, même si les dégâts sont sans conteste énormes."

Le pays procède à des investissements considérables pour compenser les conséquences du manque de pluie, bien qu’ils soient moins visibles que les mesures de lutte contre les inondations. Il est question de plus de 400 millions d’euros jusqu’en 2021. Pour Wim Kuijken, l’enjeu est très clair: "Nous devons veiller à mieux équilibrer la quantité d’eau présente aux Pays-Bas. Il faut améliorer nos capacités à stocker l’excédent d’eau en hiver pour compenser un éventuel déficit en été."

Retenir l’eau, plus facile à dire qu’à faire. Ton Hoitink, spécialiste des cours d’eau à l’université de Wageningen, en est bien conscient. Lui a bel et bien été surpris par ce qu’il s’est passé l’été dernier. "On sait que cela peut arriver, mais le savoir n’empêche pas d’avoir peur quand le phénomène se produit." Le faible niveau des cours d’eau nous force à réfléchir et à prendre des mesures. Pour Ton Hoitink, deux problèmes se posent. "Il y a la navigation. Comment faire en sorte que les cours d’eau restent navigables? Mais l’autre grand problème, c’est la salinisation."


L’eau salée chasse l’eau douce

L’eau salée de la mer du Nord menace de l’emporter sur l’eau douce des cours d’eau, surtout dans la partie occidentale des Pays-Bas. Normalement, l’eau des rivières repousse l’eau salée et la renvoie vers la mer. Mais lorsque le niveau des cours d’eau baisse, l’eau salée progresse à l’intérieur des terres. Ce qui n’est pas sans conséquence. "Dans certaines zones du pays, des districts sont entièrement entourés d’eau salée. Impossible dès lors d’y prélever de l’eau potable. Bientôt, des camions sillonneront les Pays-Bas pour distribuer des bouteilles d’eau potable, comme c’est déjà le cas en Chine. Ce que nous ne voulons pas. Mais le secteur de l’horticulture en serres et à l’air libre a lui aussi besoin d’eau. La plupart de nos plantations meurent si elles entrent en contact avec de l’eau salée", explique Ton Hoitink.

La gestion de l’eau dans cette région est assurée par les conseils d’administration de l’eau. Toutes s’inquiètent de la sécheresse. Si l’on s’en tient au bassin fluvial, les complications restent gérables. Grâce aux 'grandes rivières' qui traversent la zone. Les problèmes se posent principalement en amont de ces grandes rivières. Tanja Klip-Martin est la comtesse des digues du district Vallei en Veluwe. "La sécheresse se poursuit même en automne. Pour l’eau, nous dépendons maintenant des grandes rivières, mais l’eau que nous faisons couler (flux qu’on laisse entrer dans une zone, JG) n’atteint pas les terres sablonneuses de la Veluwe. Elle ruisselle au bas des collines."


L’Achterhoek, la zone la plus sèche des Pays-Bas

La sécheresse a d’ores et déjà tari plusieurs ruisseaux dans la Veluwe. Et les prévisions pour l’avenir proche ne sont pas réjouissantes. "En fait, nous avons besoin de deux cents jours complets de pluie pour compenser notre déficit. Sinon, nous arriverons au printemps en manquant d’eau." Har Frenken, un collègue de Tanja Klip-Martin qui travaille au Limbourg, nourrit les mêmes préoccupations. "Si la situation ne s’améliore pas, nous allons entamer la saison des cultures avec une pénurie. Le peu d’eau disponible devra être réparti entre de nombreux demandeurs. L’agriculture sera alors entièrement tributaire de l’arrosage." L’Achterhoek est probablement la partie la plus sèche du pays.

Cette partie se situe dans le district Rijn en IJssel. Les maisons fissurées à Zevenaar relèvent également de sa responsabilité. "Nous avons retenu l’eau aussi longtemps que c’était possible dans des fossés et des ruisseaux afin de maintenir le niveau des nappes phréatiques. Mais à un moment, ça s’arrête. C’est vraiment un cas de force majeure", explique le comte des digues Hein Pieper Collaboration Nos visites aux comtes des digues et au commissaire plan Delta montrent clairement qu’aujourd’hui tous les partis mettent tout en œuvre pour lutter contre les problèmes de sécheresse et qu’il faudra bien réfléchir à la manière d’éviter d’autres complications à l’avenir. La collaboration est ici le mot magique. Elle doit même transcender les frontières. L’eau des rivières vient en effet de l’étranger. "Nous devons veiller à ce que l’Allemagne et la France ne retiennent pas trop d’eau pour leur usage et à ce qu’il en reste pour nous", explique le commissaire du plan Delta Wim Kuijken.

Tous ces intervenants soulignent cependant que les Pays-Bas voient toujours arriver plus d’eau qu’ils n’en consomment. Normalement, tout devrait rentrer dans l’ordre après la sécheresse que nous avons connue. Reste la question de savoir si un jour, il y aura des périodes où les bateaux ne pourront plus naviguer sur l’IJssel ou le Waal et si nous pourrons les traverser à pied. "Si nous ne faisons rien, la situation pourrait bien dégénérer dans ce sens. Mais cela n’arrivera pas si vite. Nous pouvons déjà faire beaucoup de choses dans ce domaine", indique Ton Hoitink. Il faudra prendre des mesures concernant la navigation. Ton Hoitink prend comme exemple la Meuse, un fleuve navigable grâce à un ingénieux système d’écluses et de barrages. "Je n’exclus pas que nous ayons un jour besoin d’un tel système au niveau du Waal. Nous devons faire en sorte que les cours d’eau puissent évacuer rapidement d’énormes quantités d’eau en cas de crue, et le moins possible en cas de sécheresse."

La probabilité que le journaliste Kay Scholten puisse un jour traverser la rivière à pied est donc totalement nulle, et c’est tant mieux!


 
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