ESF Info 54-55
 


Les nouvelles rivières urbaines

Les inondations dramatiques de nos espaces de vie nous rappellent à l’ordre en matière de gestion soutenable de l’eau. Le concept de nouvelles rivières urbaines invite à repenser l’hydraulique des vallées urbanisées et à réinventer de manière créative et positive la place de l’eau dans l’environnement urbain.



Historiquement, la gestion de l’eau a pris un tournant au cours du XIXe siècle quand les rivières ont été réduites à la seule fonction d’évacuation des déchets. Pour débarrasser la ville de ses miasmes, les rivières devenues cloaques ont été canalisées sous terre et le réseau souterrain s’est ramifié avec le développement de la ville. Eau disparue, question résolue, croyait-on! Un siècle plus tard, ce mode de gestion atteint des limites insoutenables. Le cœur du problème, c’est le réseau unitaire d’une ville de plus en plus imperméable. S’il est adapté au débit relativement stable des eaux usées, ce réseau, qui mélange eaux de pluie et eaux usées, déborde dans les rues et les caves par temps d’orage, noie les stations d’épuration et pollue l’environnement.

En lieu et place de continuer à considérer l’eau comme une menace, un déchet, un élément servile dans la planification urbaine, un fluide docile au béton, une contrainte pour laquelle nous aimerions ne pas devoir dépenser de l’argent et du territoire, n’est-il pas temps de réconcilier l’eau et la ville? Ne sommes-nous pas précisément au tournant d’une nouvelle ère dans la gestion de nos eaux?



La proposition est de renverser la problématique et de valoriser ce qui parait être un problème – la protection contre les inondations - comme une réelle opportunité urbaine – modeler les sols des espaces habités de sorte à cohabiter avec l’eau, la replacer dans son cycle naturel et profiter de la synergie que sa présence peut apporter dans la qualité des espaces bâtis.

Détournons les eaux de ruissellement du triste destin des profondeurs pour capillariser nos espaces de vie! Si les anciennes rivières ne peuvent plus être retrouvées, imaginons de nouvelles rivières! Libérons-nous de la nostalgie d’une rivière idyllique: que ces nouvelles rivières soient résolument contemporaines!

Trouvant leurs sources sur chaque surface imperméable de la ville, toitures, trottoirs ou voiries, les nouvelles rivières urbaines en récoltent les eaux de ruissellement, les ralentissent, les infiltrent dans les sols, les évaporent grâce aux végétaux et participent à des écosystèmes dynamiques. Se succèdent dans la pente pour gérer les eaux quand il y en a : jardins d’infiltration ou de stockage temporaire, noues, bassins secs, toitures vertes ou en eau, réservoirs de récupération, rigoles à revêtements rugueux et puits infiltrants. Et quand il n’y a pas de pluie, ces lieux d’infiltration et de stockage à ciel ouvert présentent l’avantage de pouvoir être valorisés comme espaces publics de qualité : terrain de jeux, promenade piétonne, piste cyclable, place publique… L’eau et l’homme se partagent les lieux selon la temporalité des aléas météorologiques, mettant en valeur les cycles de l’eau, les saisons et les écosystèmes qui s’y développent.

Une utopie en ville existante ? Peut-être, mais a-t-on vraiment le choix face au risque croissant d’inondation? Profitons de l’incontournable pression urbaine pour qualifier les lieux des villes! Aménageons les nouvelles rivières de sorte à rappeler aux habitants comment l’eau a façonné leurs lieux de vie à travers l’histoire, comment la ville en conserve la trace dans ses formes, ses noms de rues, l’existence de certains bâtiments, étangs ou parcs. Dessinons-les jouant avec les humeurs météorologiques, œuvrant avec le pouvoir symbolique de l’eau, recréant un contact plus perméable avec le sous-sol fondateur de la ville, offrant un moyen d’expression et de participation citoyennes à mesure humaine, rappelant aux habitants qu’ils n’habitent pas seulement un quartier, mais aussi un bassin versant, valorisant la topographie car, cette dernière, aussi faible soit-elle, fait toujours couler l’eau vers le bas. Cette gestion de l’eau à ciel ouvert - les nouvelles rivières - donne à lire la ville autrement… pour mieux la vivre, sans doute aucun.

L’eau n’y est plus uniquement un fluide que l’on gère : elle qualifie les espaces de vie, les convivialise et leur donne un sens nouveau dans la trame urbaine. A travers cette proposition, l’eau retrouve de nouveaux usages et regagne ses lettres de noblesses. Si l’on s’en saisit, les problèmes hydrauliques sont un prétexte utile, une occasion inespérée de revaloriser les quartiers urbains denses, là où l’imperméabilisation est la plus forte, là où il y a le plus besoin de protection contre les inondations, d’espaces publics variés de qualité et d’expression participative multiculturelle.


Valérie MAHAUT, professeure en Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal
valerie.mahaut@umontreal.ca
Auteur de la thèse: L’eau et la ville, le temps de la réconciliation. Jardins d’orage et nouvelles rivières urbaines, Université catholique de Louvain, 2009.
Membre du collectif bruxellois EauWaterZone co-organisateur des Etats Généraux de l’Eau (Bruxelles, été 2011).



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