PAYS-BAS
L'élargissement du chenal de l'Escaut occidental s'accompagnera-t-il
de mesures de restauration de la nature?!
Le
feuilleton qu'est devenu progressivement le dossier de l'Escaut
occidental a atteint un point culminant. Début juillet dernier,
la Décision sur le tracé de l'approfondissement
du chenal a été rendue publique. Dans ce texte, les autorités
précisent les modalités d'exécution des travaux, en indiquant
notamment que ceux-ci ne s'accompagneront pas de mesures de
réhabilitation de la nature. Elles considèrent en effet que
des mesures de compensation ne seront pas nécessaires, parce
que les travaux ne porteront probablement pas préjudice à
la nature dans la région. Thèse contestée par un certain nombre
d'associations environnementales qui ont introduit un recours
contre la décision sur le tracé.
Pronostics dans la Décision
sur le tracé
Site naturel de grande valeur, l'Escaut occidental est en
fort mauvais état. Il est donc indispensable de prendre des
mesures de réaménagement et d'éviter toute nouvelle dégradation.
Le projet d'approfondissement nécessite dès lors une étude
d'incidence ('m.e.r.'1)
évaluant son impact sur l'environnement, ainsi qu'une 'appréciation
appropriée'2 aux
zones classées de protection spéciale. Ces études établissent,
à l'aide de modèles morphologiques et de mouvements de l'eau
dans l'estuaire, que la zone de grande valeur écologique ne
diminuera guère en superficie suite à l'élargissement du chenal.
Et si des effets négatifs étaient néanmoins constatés, ces
dommages pourraient être compensés, estiment les autorités,
en déversant les sables de dragage devant les pointes des
bancs de sable (côté mer). Les nouvelles zones de valeur écologique
qu'on espère pouvoir créer de cette manière permettraient
de compenser largement les éventuelles dégradations.
Sur le long terme, on espère pouvoir éviter les dommages en
ajustant régulièrement la stratégie de déversement des sables
de dragage. En étudiant les effets des travaux d'approfondissement
précédents (à l'aide du programme MOVE3),
les responsables affirment avoir acquis une connaissance suffisante
des changements naturels pour anticiper ceux-ci et éviter
les détériorations effectives des fonds de l'estuaire avant
que celles-ci ne se produisent. Sur cette base, les autorités
concluent qu'un troisième approfondissement du chenal, s'accompagnant
d'une stratégie adaptée de déversements de sable de dragage,
ne causerait pas de dommages à la nature dans l'Escaut occidental
et qu'un programme de réhabilitation de la nature ne s'impose
pas dans la décision sur le tracé.
Opinion différente
Les associations environnementales Vereniging
Natuurmonumenten, Zeeuwse
Milieufederatie, Stichting
Het Zeeuwse Landschap et Vogelbescherming
Nederland estiment, quant à elles, que les rapports des
études concernées ne permettent pas de tirer cette conclusion.
Elles considèrent que même si les études nécessaires ont été
réalisées avec les meilleurs moyens disponibles, elles ne
permettent pas de soutenir les conclusions hasardeuses de
la décision sur le tracé.
Le fonctionnement de l'Escaut occidental est trop complexe
pour établir des prévisions fiables. Des experts estiment
la marge d'erreur de leurs prévisions à 50%, de sorte que
les effets sur les zones de grande valeur écologique peuvent
s'avérer forts différents de ce qui était prévu.
Les effets des déversements devant la pointe (côté mer) des
bancs de sable n'ont été vérifiés que pendant une brève période
sur un seul site, ce qui n'offre aucune certitude quant à
savoir si les dommages occasionnés le cas échéant seront véritablement
compensés. Pour ajuster sur le long terme la stratégie des
déversements de sable de dragage les connaissances des mouvements
naturels de sable dans l'Escaut occidental font actuellement
défaut.
Ainsi, à titre d'illustration, l'Escaut occidental s'est transformé,
il y a quelques années, de système importateur en système
exportateur de sable. Il s'agit d'un changement fondamental
inexpliqué jusqu'à présent, malgré l'expérience des travaux
d'approfondissement précédents. Par ailleurs, l'impact négatif
de l'élargissement du chenal sur les oiseaux et les animaux
terricoles est reconnu, mais jugé peu important. Or, dans
une région protégée 'Natura 2000'4
qui est en si mauvais état, toute nouvelle atteinte est importante.
Renforcement
Toutes les parties sont conscientes de l’impossibilité
d’acquérir des certitudes absolues concernant
un système dynamique tel que l’Escaut occidental.
C’est la raison pour laquelle il a été
convenu en 2005, entre autre dans le Schéma
de développement 2010, que l’approfondissement
du chenal de navigation s’accompagnerait d’un
premier effort de redynamisation du système écologique
de l’estuaire en réaménageant 600ha de
nature. Ainsi renforcé, l’Escaut occidental serait
mieux paré, qu’il ne l’est dans son mauvais
état actuel, face à une nouvelle intervention.
Les Traités
de l’Escaut ont confirmé cette approche,
mais dans le texte de la décision du tracé,
ce lien entre la protection de la nature et l’approfondissement
du chenal de navigation, a complètement été
abandonné. La protection de la nature n’a pas
le vent en poupe dans les milieux politiques aux Pays-Bas
et il n’est nullement acquis que les bonnes intentions
soient jamais réalisées.
Les organisations précitées persistent dès
lors à revendiquer une décision de tracé
dans laquelle l’élargissement du chenal et la
protection de la nature aillent de pair, comme c’était
le cas dans le ‘Schéma de développement
2010’.
Le dénouement le plus désespérant, après
de si nombreuses années d’effort, ne serait-ce
pas de devoir conclure: "Opération réussie
- patient décédé".
Les associations néerlandaises de défense de
l’environnement - et sans doute d’autres organisations
avec elles - se font fort d’obtenir la liaison entre
la protection de la nature et l’approfondissement du
chenal.
Annelies
Luteijn
responsable de Deltawateren
Zeeuwse Milieufederatie
1
étude d'incidence ou 'm.e.r.' (milieueffect-rapportage)
est une procédure utilisée avant d'effectuer des interventions
ou des travaux importants dont on étudie les effets sur l'environnement
de manière scientifique.
2 appréciation appropriée: évaluation
des effets significatifs éventuels sur des zones de protection
spéciale dans le cadre de la directive européenne concernant
les habitats et les oiseaux sauvages.
3 Le programme MOVE (MOnitoring VErruiming Westerschelde:
c'est-à-dire 'monitoring approfondissement de l'Escaut occidental').
Vous trouverez le rapport final sur les effets des travaux
exécutés de juillet 1997 à juillet 1998 en cliquant ici.
4 'Natura 2000' est un réseau européen de zones
naturelles protégées. Il comprend tous les sites retenus sur
base de la directive européenne concernant les habitats et
les oiseaux sauvages.
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